Marche des libertés contre la loi Sécurité globale, animation des prises de parole avec Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC (à gauche) – 21 novembre 2020/ © Privé
J’aime profondément travailler avec des gens différents de moi. Dans la défense des droits, ce n’est néanmoins plus seulement une question de plaisir, mais une nécessité, une condition sine qua none du succès.
Une constante pendant toute ma carrière a consisté à animer des équipes, des réseaux informels, coalitions, collectifs, réunis autour d’objectifs communs. Cette vision s’accompagne d’un excellent relationnel, qui me permet de fédérer les compétences d’acteurs aux cultures différentes autour de projets communs.
Dans un contexte d’offensive généralisée contre les droits, et contre la liberté d’association en particulier, penser ensemble, construire ensemble, s’allier, ne sont plus seulement une question d’éthique ou d’efficacité opérationnelle, selon le dicton éculé « on est plus fort ensemble ».
S’allier devient une condition du succès, et dans certains cas, une question de survie. C’est dans ce sens que j’ai pensé les services proposés.
Nous, acteurs du plaidoyer du plaidoyer, nous sommes beaucoup améliorés ces dernières années dans la planification de nos actions et campagnes sur le long terme. Face au « tonneau des Danaïdes » se remplissant sans fin de nouvelles exactions à prévenir, documenter, combattre, nous avons choisi de ne plus être « ces hamsters dans leur roue », de prendre le temps de la réflexion, de l’anticipation, pour intervenir de manière plus stratégique.
C’est une excellente chose. Malheureusement, une autre tendance, concomitante de la part des pouvoirs en place a consisté à multiplier les attaques rapprochées contre les droits. Il suffit de penser aux multiples projets et propositions de lois liberticides déposés et débattus en procédure accélérée ces dix dernières années… Outre cet affaissement de la qualité du débat démocratique et du contrôle citoyen, cette frénésie législative en urgence freine la capacité des acteurs et actrices de l’intérêt général à :
- S’allier ensemble
- Penser des stratégies convergentes et efficaces
- Proposer un autre narratif dans le débat public, centré sur l’importance des droits.
Dans mon expérience, chaque fois que des coalitions ont réussi à se constituer suffisamment tôt, nous avons réussi à convaincre une majorité de l’opinion publique des problèmes posés par telle ou telle loi. Plus important encore : nous avons réussi à convaincre une majorité de l’opinion publique que la protection des droits n’était pas une contrainte, mais bien souvent, faisaient partie de la solution. Que les droits nous protègent, et que nous devons les protéger en retour.
Les « loi Renseignement » en 2015, ou la loi « Sécurité globale » en 2021, sont de bons exemples de lois d’abord soutenues par l’opinion, puis majoritairement rejetées grâce au travail de coalitions citoyennes. Je ne cite que ces deux exemples, basés sur ma participation directe au travail de ces collectifs, mais il en existe bien d’autres. C’est dans cette perspective que sont imaginées les deux propositions de services.
© David Dufresne, pour le réseau Stop Sécurité globale. Série de vidéos pédagogiques visant à alerter l’opinion publique, faites « depuis nos canapés », sur les dangers de la loi
Services
Animation d’une coalition autour d’objectifs de plaidoyer spécifiques :
Un nouveau projet de loi est-il annoncé, en réponse à un fait divers ou une actualité dramatique? Une association est menacée de dissolution ? Le gouvernement français annonce la visite d’un chef d’État dont le bilan en matière de droits humains est catastrophique pour sa population ? Un membre du gouvernement français annonce au dernier moment se rendre dans un pays qui opprime sa population ou commet des crimes de guerre pour y vendre de nouveaux contrats d’armement ? A l’issue d’un sommet européen, une nouvelle directive est annoncée ? Un haut responsable de l’exécutif français se rend-il en visite officielle, et voulons nous lui faire entendre les préoccupations en matière de droits humains en France par la société civile ou ses homologues dans le pays qui l’accueillent ?
Dans toutes ces situations, notre réactivité et capacité à se fédérer avec d’autres acteurs est mise à rude épreuve. Pourtant, les compétences et expertises sont là, bien présentes ; la volonté de s’allier ensemble est aussi là, reconnue et souhaitée par beaucoup ;
Mais contacter les bons acteurs, organiser la réflexion rapide autour d’actions communes et se mettre d’accord entre organisations avec des modes de gouvernance, et des mandats différents, et une capacité de réactivité différente…. se coaliser demande du temps et de l’énergie.
- Dans le pire des cas, le temps manque et chacun réagit de son côté.
- Dans les cas les plus courants : une ou des actions communes sont réalisées, avec généralement deux constantes : On s’allie plus vite avec des gens qui nous ressemblent, entre « usual suspects ». On duplique des actions déjà éprouvées, car on sait qu’on peut le faire. Mais, le plus souvent, ce type d’action manque sa cible, parce qu’elles n’ont pas été pensées spécifiquement
- Dans le meilleur des cas, souvent vécus comme de petits miracles », les acteurs arrivent à se fédérer sur une base pertinente (non pas exclusivement sur celle de leur réseau de connaissance mais bien sur les besoins identifiés) et autour d’actions communes pensées de manière stratégique.
La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent !
Albert Einstein
Pour que ces « miracles » se produisent plus souvent, il est souvent nécessaire que les acteurs en question « dépassent leur fonction » et prennent en charge des missions qui ne leur incombent pas : identification et démarchage de nouveaux acteurs ; proposition d’initiatives originales ; construction et mise à disposition d’un cadre de réflexion collective (des fois une visioconférence de 30 minutes suffit !) ; fassent accepter au sein de leur organisation le principe de sortir des sentiers battus…
C’est ce rôle, au service de dynamiques collectives et de causes communes, que je me propose d’endosser. Concrètement, et de manière non-exhaustive, il peut s’agir de :
- Identifier les acteurs pertinents
- Coordonner la dynamique collective
- « Think out of the box » pour proposer des actions ciblées et stratégiques
- Faire le secrétariat des décisions prises, afin de faciliter les processus internes de validation propres
- Accompagner dans la mise en œuvre les actions validées : organisation d’un évènement public, coordination d’une tribune, organisation d’une conférence de presse…
- Faire le bilan, afin d’évaluer l’action menée, enrichir notre mémoire des luttes collectives, et s’inspirer des actions passées pour nourrir les prochaines, pas pour les dupliquer sans cesse et sans tête.
Ce service a été pensé comme un outil au service de notre réactivité collective, mais il s’applique d’autant mieux sur des dynamiques de moyen et long terme.
Organisation de temps de rencontres et d’expertises partagées
Il s’agit de permettre aux professionnels et militants œuvrant à l’intérêt général, de se rencontrer et réfléchir ensemble sur des sujets d’intérêts commun, à partir de la confrontation de leurs pratiques et d’expertises convoquées à l’extérieur. Pourquoi ?
- Pour enrichir la réflexion collective par la mise en lien de mondes professionnels différents (académiques, associatifs, médias, syndicats, partis politiques…)
- Pour que ces acteurs apprennent à se connaitre, à comprendre leurs logiques d’intervention respectives, développent des liens de réciprocité sur une base : égalitaire – de confiance et de respect mutuels
- Pour que ces liens informels se transforment en contacts opérationnels lorsque le besoin se présente (voir animation de coalitions ci-dessus)
Ces espaces de rencontre, réflexion, ressources, préalables indispensables à la construction d’alliances ad hoc… existent, à la marge des agendas respectifs des uns et des autres…Il suffit pourtant de « pas grand-chose » pour que ces espaces émergent, à partir des besoins de tous les acteurs des mouvements sociaux et de la société civile.
Ce qui manque, c’est d’impulser puis de coordonner des dynamiques, impliquant :
- L’identification de besoins partagés par des acteurs multisectoriels;
- La formulation de propositions collectives;
- L’organisation des temps de rencontre et d’échanges
C’est en occupant ce rôle, que je souhaite contribuer à mettre en place des espaces de ressources/ rencontre/ réflexion collective à destination de tou.te.s : responsables associatifs, politiques, syndicaux, universitaires, citoyens engagés, collectifs de concernés…
Pourquoi ? Une clé pour les victoires futures
Dans les organisations de plaidoyer, qu’elles que soient leurs domaines d’intervention respectifs surgissent un certain nombre de constantes.
L’une de celles-ci est le sentiment de courir derrière le temps, l’urgence d’une situation à défendre ou à régler, le besoin d’une connexion à l’actualité immédiate liés aux projets que l’on porte, et, pour beaucoup d’entre nous, le désir sans cesse repoussé, au soir, au lendemain, ou aux vacances, ou généralement à un « plus tard » indéterminé, de lire une recherche académique importante, le rapport d’une organisation alliée, participer à un colloque, d’organiser une rencontre avec un.e universitaire très en pointe sur nos sujets.
Notre consommation de nourriture intellectuelle est généralement circonscrite au besoin d’être prêt pour l’interview que nous donnerons sur tel sujet le lendemain, ou telle rencontre de plaidoyer auprès d’un décideur quelconque.
Pourtant, prendre le temps de s’enrichir intellectuellement et collectivement, mettre à jour notre environnement de connaissance, en un mot de privilégier l’important du lendemain sur l’urgence du jour, n’a rien d’un luxe : c’est au contraire ce qui nous permet de nourrir notre réflexion quotidienne, d’alimenter notre créativité, d’ouvrir nos horizons d’attente, de nous confronter aux points de vue contraires, d’affuter nos arguments et messages.
Participer à des temps d’échanges d’expertise, c’est aussi développer son réseau d’alliés potentiels, de partenaires clé pour la prochaine campagne ; c’est tisser les liens de solidarité entre différentes sphères, indispensables pour combattre pied à pied les attaques à l’environnement, aux libertés, à nos droits de manière plus générale…
Dans un contexte de régression généralisée des droits, sous les coups de boutoirs d’un agenda dicté par des forces réactionnaires de plus en plus extrêmes et décomplexées, s’allier n’est plus seulement un avantage, c’est une condition sine qua none de la possibilité même de résister avec succès, avant même de penser à conquérir de nouveaux droits.
Oui, les défaites collectives ont été nombreuses, malgré des mobilisations d’ampleur. Posons-nous la question autrement : quel acteur peut se targuer d’avoir remporté un succès d’une certaine ampleur ces dix dernières années sans construire, ni s’impliquer dans un travail d’alliances ?
Pensons à l’inverse aux succès que nous pensions impossible ou improbable ces dernières années : la condamnation de l’État français pour inaction climatique ; les rassemblements en France, à la suite de la mort de George Floyd, contre le racisme et les violences policières en France, les marches des libertés ayant rassemblé des centaines de milliers de citoyens contre la loi Sécurité globale et en défense de nos libertés ; la reconnaissance du contrôle au faciès par le Conseil d’État ; la non-dissolution des Soulèvements de la Terre….
En d’autres termes, oui, nous avons beaucoup perdu, seuls ou collectivement, ces dernières années. Mais lorsque nous avons réussi à convaincre les citoyen.ne.s de la justesse de notre narratif et à faire reculer les autorités, toutes ces victoires majeures ont reposé sur des alliances d’acteurs hétéroclites : collectifs citoyens, associations, syndicats, universitaires, avocats, sociétés de journalistes… Et toutes ces victoires en termes de mobilisations ont initialement reposé sur des rencontres, débats, discussions…, préalable indispensable à la confiance et à l’envie de travailler ensemble.